– Les Mauvaises fréquentations – Bienvenue sur le blog de Thierry Savatier
Ecrivain, historien de l'art, passionné d’art et de littérature. J’ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog (destiné à faire partager des impressions sur des livres, des expositions ou l’actualité) parce que les artistes, c’est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations…
Je viens de terminer le livre de Claude Shopp et je dois avouer que j’ai été déçu. Très déçu. Je m’attendais à une argumentation solide, imparable, implancable . Ce n’est pas le cas.
Bien que, de toute évidence, le document soit d’une incontestable authenticité, et que la coquille qu’il a souligné soit tout à fait étonnante, rien ne prouve qu’il faut prendre les mots de Dumas fils pour « paroles d’évangile ». Et Dieu sait s’il serait inopportun de douter de celles-ci !
Nous sommes tout de même en droit de nous attendre à ce que l’auteur remette un peu en question le texte outrancier de Dumas. N’aurait-il pu, à tout hasard, colporter une rumeur, un ragot connu de tous ? Autrement dit, n’aurait-il pu être le rapporteur, ou la victime, de ce que l’on appelle joliment aujourd’hui une « Fake News » ?
L’auteur ne semble guère s’en inquiéter. Dumas fils l’a dit, donc c’est vrai ! On ne remet pas en cause les paroles d’un homme élevé au panthéon de la littérature. Pourtant, le brûlot du fils de l’auteur des « Trois mousquetaires » pose questions. La haine qu’il nourrit envers Courbet ainsi que ceux et celles qui l’entoure y est clairement affiché et fait froid aux yeux. C’est à la fois un recueil de calomnies et de faits avérés. Il est fier de son succès et il s’en vante auprès de sa chère « maman » qui regarde cela d’un œil attendrissant : « Mais quel talent ! ». Le contexte dans lequel, il écrit son texte abject (osons le mot) devrait pourtant nous interpeller. C’est la fin de la commune, on s’indigne, on emprisonne, on tue. On dénonce forcement !?
Bref ! Quand il s’agit de nuire à autrui l’humain trop humain est toujours prêt à tout !
Admettons cependant que la « Fake News » soit vraie. Que Constance Quéniaux a (aurait !) servi de modèle pour le tableautin de Courbet, et que de surcroît il en était ainsi convenu avec Le Bey. N’aurait-elle pas, en toute logique, posé avec Joe pour l’exécution du « Sommeil » ? Le peintre et le commanditaire n’auraient-ils pu mettre en commun leur maîtresse respective pour la réalisation de la toile grandeur nature des « deux femmes se passant d’homme » (dixit Dumas fils) ? La piste n’est pas évoquée. Pourtant elle ne manquerait probablement pas de piquant !
Est-ce sans doute parce que le visage de Constance, un peu ingrat malgré ses beaux sourcils, ne correspondrait pas réellement aux traits plus gracieux de la brune alanguie dans les bras de la rousse ?
La rousse est connue, c’est Johanna Hifferman. En 1866 elle est âgée de 23 ans, Constance quant-à elle en a 34. Claude Shopp reconnaît qu’elle ne devait plus avoir toute sa fraîcheur. Sylvie Aubenas, qui fait un bon résumé de l’histoire de la toile, abonde dans son sens en nous enjoignant tout de même de ne pas suivre cette piste car « il paraît oiseux et stérile de gloser sur sa silhouette en 1866 alors qu’elle ne dansait plus depuis 1859 ». Oiseux et stérile de gloser ? Surprenante et délicate injonction ! Serait-il possible que Courbet ait pu renoncer un instant à son « réalisme » en gommant les défauts corporels – qu’il a mis tant de soins à représenter dans ses « Baigneuses » – de l’ex-danseuse d’opéra afin d’atteindre une sorte d’idéal féminin ? Comme dans nos magasines de mode ? A moins que le corps bien lissé de « L’Origine » corresponde davantage à celui d’une femme d’un âge moins avancé ?
Malheureusement le livre de « la vie du modèle » élude ces questions. En revanche, il contient de long passages ennuyeux, qui vont des bonnes œuvres de Constance pour l’orphelinat à l’énumération sans fins des bibelots qu’elle lègue avec prodigalité à ses proches (couvert à salade, ramasse miette, coquetier en argent, manche à gigot, pelle à tarte, et autre bracelet en dollars qu’elle portait depuis longtemps). L’auteur aurait pu amputé son texte de ces passages qui n’apportent rien.
J’ai l’impression que Claude Shopp veut nous dresser un portrait de Constance Quéniaux en Sainte. Qu’il en fait la Marie Madeleine des grandes horizontales, des demi-mondaines, apparue miraculeusement pour le rachat de toutes les putains respectueuses ? La conclusion est pour le moins étrange pour ne pas dire suspecte : « Celle qui fut le modèle de L’Origine du monde […] appelle au fond les femmes, toutes les femmes à combattre. Certes, elle a dû, un temps se prêter aux désirs des hommes, mais c’est, à la fin, pour triompher. » ?!? Mais combattre qui ou quoi ? Et triompher de quoi ou de qui ?
La découverte de la « coquille » dans cette correspondance de Dumas fils ne m’apparaît pas plus sérieuse que le détail que j’avais souligné dans les poèmes de Baudelaire et dont je vous avais fait part.
Je pense que vous devez sans doute vous en souvenir ?
Au fond, que ce soit Constance ou une autre ? Ce qui compte ce n’est pas le Graal, c’est la quête ! Et il y a des quêtes plus ou moins heureuses.
Bien à vous
E.V
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